SEPTIÈME ÉTAGE



Peut-être l'ascenseur est-il ici, peu-être m'attend-il tout simplement et si je ne vais pas vérifier, je vais rater cette belle occasion de finir la montée en télé-transport ! 

Elle pose ses charges doucement sur le sol, il ne faudrait pas que le sac de litière se déchire, et se rend sur le palier du sixième étage. La lumière est éteinte mais dans la semi-obscurité, elle peut nettement voir le bouton d'appel de l'ascenseur : il brille, il est rouge, toujours allumé mais aucun bruit, ni grincement ou ronronnement ne lui indique qu'il est en fonction. Elle vérifie quand même, pour être certaine. Elle a fait la moitié du chemin et c'est déjà beaucoup. Beaucoup trop.

Putain de merde, j'en étais sûre ! Faut pas rêver ma grande. Dans les contes de fées, les ascenseurs et les chevaux ne tombent pas en panne, ou bien le réparateur est déjà sur place et la princesse l'épouse sur-le-champ et ils vécurent heureux et eurent moult et moult enfants... Allez, on y retourne dans la joie et la bonne humeur. Moi aussi j'aimerais un enfant. Pas tout de suite et pas forcément avec un réparateur d'ascenseur, mais un petit être à aimer, ce serait le pied. Quelqu'un qui écouterait ce que je pense, qui partagerait mes goûts et mes rêves pour les renier ensuite, pendant sa crise d'ado. Quelqu'un qui m'embrasserait sans arrière pensée, juste comme ça... Je délire encore. C'est peut-être Lætitia et son petit bout de chou qui me font cet effet. Ce n'est pourtant pas le bon moment ni le bon père pour faire un bébé. Faire comme Maman n'est pas une très bonne solution. Comme Jean-Mi et moi ne sommes pas mariés, s'il ne veut pas du bébé, il me plaque et je le garde pour moi seule. Ça craint ! Un bébé fait sans amour partagé ne peut pas être vraiment heureux. Regardez-moi ! Je ne lui en veux pas pourtant. Elle a cru bien faire, mais elle aurait dû rester avec moi. Elle m'a voulue, désirée et attendue, alors pourquoi me laisser tomber si tôt ?
 
Victoire est une femme simple qui ne désire qu'une seule chose : la tranquillité. Le bonheur et la joie sont bons pour les autres, les riches ou les amoureux. Elle, ce qu'elle veut, c'est être en paix, en harmonie avec elle-même dans son petit monde mental. Ensuite il y a eu Roger qui ne demandait rien et donnait beaucoup. Puis il ne donnait plus rien mais demandait à être remboursé. 
Alors Victoire rembourse sa dette d'amour et plus encore. Pour éviter les cris tout d'abord, pour éviter les coups par la suite. Son cadeau, sa compensation, c'est Marie.
Un tout petit bébé si maigre, si rouge quand il pleure. Puis une petite fille gaie comme un pinson avec sa mère, renfrognée et taciturne avec son père. Elle est plus maligne que Victoire, elle comprend et s'adapte vite, cette petite. Se faufile dans les coins, derrière les meubles de sa chambre quand la tempête fait rage.
Et Victoire maigrit encore, se fane toujours plus et s'évade avant d'être transformée en cadavre vivant. C'est le meilleur moment, elle n'aurait de toutes façons pas pu supporter une ou deux années de plus auprès de son cher époux.
Marie pense qu'elle est devenue un ange qui veille sur elle, entourée du halo de fumée de ses cigarettes mentholées et assises sur une pile immense de livres. Mais cet ange n'est pas très attentif ou bien ses pouvoirs sont extrêmement limités, sinon l'ascenseur fonctionnerait, n'est-ce pas ?
 
Il ne faut pas pousser ! Maman n'est pas Wonder-woman ni une mécanicienne. Un ange bienveillant n'est pas là pour réparer nos machines mais pour nous soutenir. Mon ange Victoire me donne la force de monter toutes les marches sans faiblir. Il est vrai qu'elle est plutôt radine sur les dons de forces physiques, mais elle est présente, elle m'aide. Tant pis pour ceux qui me croient folle.
J'suis arrivée à un palier : J'en suis où ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire