HUITIÈME ÉTAGE



Je meurs de soif ! J'ai dépassé la moitié il me semble. Je peux m'offrir une cigarette ? Mais ensuite, je vais avoir encore plus soif. Si je sors une bouteille, tout va se casser la gueule et moi avec... Et puis je ne pourrai pas la remettre dans le pack, y'a pas moyen. D'abord la clope, j'aviserai ensuite.

Marie s'assied sur les premières marches qui mènent vers le huitième étage. Elle est presque arrivée chez elle. Ça fait seulement quelques minutes qu'elle pratique l'exercice de la montée des marches mais le chemin a été beaucoup plus long en réalité. Presque une vie pour atteindre un but si proche. Une vie qui se raconte en douze étages, c'est une vie de merde à vrai dire. Marie le sait. Elle s'en fout car elle fume une cigarette avant l'arrivée. Elle n'a pas tellement envie de rentrer, ces escaliers monotones ne sont pas si mal après tout. Ils sont concrets, rassurants, c'est en ciment, et on peut les compter si l'on n'a rien d'autre à faire. Les escaliers n'ont pas d'âge ni de statut social. Tout le monde a ses propres marches à gravir ; c'est toujours aussi difficile qu'elles soient de bois ou d'or.
Marie a fini sa clope. Elle a soif, encore plus soif, c'était prévu. Elle reste assise et sort ses clefs. Elle s'en sert pour déchirer doucement le plastique du pack juste au-dessus d'une bouteille, vers le centre ; elle passe le pouce et l'index dans l'orifice créé et débouche la bouteille, sort le bouchon juste à temps, avant qu'il ne glisse sur le côté, et de ses deux bras tremblants, elle soulève le pack en entier pour boire et boire encore. Elle essaie de reboucher la bouteille mais ses doigts ne sont pas sûrs et le bouchon tombe entre deux bouteilles. Elle ne peut pas le reprendre sans déchirer tout le plastique et ça, ça nuirait encore plus au bon équilibre de l'ensemble.

M'en fous. De toutes façons, ça ne va pas se renverser, j'ai bu quasi la moitié de la bouteille. Allez, en route, le temps passe trop vite quand on s'amuse !
Mon Dieu, j'ai le ventre qui gargouille et les mains en compote. Pourtant je me sens bien, c'est bizarre. Je ne regrette presque pas de ne pas avoir eu la voiture ; après tout, elle ne m'aurait servi à rien dans les escaliers. Je regrette juste d'avoir passé le permis, tout ce fric dépensé pour rien, c'est ridicule !
   
C'est Jean-Michel qui a insisté auprès de Roger tout d'abord, auprès de Marie ensuite. Elle habite seule, elle a besoin d'une voiture s'il y a un problème, etc... En fait, il veut qu'elle l'aide dans ses tournées, une employée bénévole en quelque sorte. Il l'emmène deux ou trois fois, avant qu'elle n'ait obtenu son permis, faire de petites tournées dans le quartier. Elle l'attend dans la voiture pendant qu'il fait son porte-à-porte, parce que le travail, c'est aussi apprendre à être patient. Mais ensuite, il faut bien qu'il aille plus loin dans la région et qu'il dorme à l'hôtel. C'est là qu'il réalise que Marie ne lui est pas d'une grande utilité finalement. Et surtout qu'il lui faudrait se priver des putes de Formule1 et autres. Il n'est pas prêt à faire ce sacrifice-là. Marie passe tout de même son permis, il est rangé dans un tiroir de la commode.
Elle ne conduit que peu de fois, lorsqu'ils sont allés se promener en forêt par exemple. Elle se fait engueuler car elle touche une branche, ce qui aurait pu rayer la carrosserie.
" La voiture est mon outil de travail, pauvre conne ! "

Je n'ai nul part où aller, mes jambes fonctionnent très bien, qu'il se la garde sa voiture de merde ! Dans la situation où je me trouve, le permis n'est vraiment pas utile... Papa habite deux immeubles plus loin, je peux m'y rendre quand je veux, mais je ne veux pas beaucoup... Il se fait vieux. Certains ont l'alcool mauvais, chez lui c'est l'âge qui rend mauvais. Je vais aller le voir de moins en moins, c'est clair. Faudrait que je trouve du travail, ainsi je n'aurais plus besoin de son fric.
Mais Jean-Mi ne veut pas que je travaille. Et merde !! 
  

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