TROISIÈME ÉTAGE




Sans un regard vers le palier et la porte du deuxième étage, Marie commence à gravir les prochaines marches. Mais les muscles de ses bras tremblent un peu, tous les muscles. Comme de petites décharges électriques qui vont des poignets jusqu'à la nuque. Elle sert les poings très fort, la douleur des bras s'estompe, celle des mains augmente. Pour l'instant les jambes tiennent bon.

Elle ne sont pas mal, mes jambes. Pourquoi Jean-Mi ne les aime-t-il pas ? 
Et pourquoi cette litière n'est-elle pas vendue en sachet de 200 grammes ? 
Et pourquoi ne pas avoir pris qu'une ou deux bouteilles de flotte ? Parce que tu mets au moins trois kilos dans un bac à litière et parce que Jean-Mi est là toute la semaine, tu ne vas pas te taper deux bornes tous les jours pour acheter de l'eau, non ? Ouai, peut-être aurait-il pu me prêter la voiture pour une fois. Mais pourquoi n'aime-t-il pas mes jambes ? Pense à tes jambes, t'auras moins mal aux bras ! Encore une théorie à la con de Super Marie !  

Il lui fait savoir dès leur premier rendez-vous qu'il n'aime pas ses jambes.

J'aurais moins chaud si j'étais en jupe. Une petite jupe légère, en voile de coton comme celles des Galeries Lafayette... Elles ne sont pas très chères... Le mois prochain, peut-être... Et merde ! Je ne vais pas en acheter une si je ne peux pas la mettre. Jean-Mi va hurler, ou pire, il ne dira rien, se contentera de penser très fort. Je ne vais pas chercher les ennuis, je ne suis pas masochiste.

Son premier rendez-vous avec lui. Si lointain et si présent aujourd'hui. Il l'attend au restaurant et elle doit le rejoindre en bus. c'est au Campanile, il y loge pour la semaine. Papa est parti faire une virée bière-foot avec des potes. Marie se fait belle : sa petite jupe noire, sa seule jupe de femme, courte mais pas trop, un chemisier prune, classe mais pas snob. Il ne vient pas la chercher, ne fait pas l'aller-retour pour rien. Mais elle s'en fiche, elle a envie de marcher un peu, aérer son bonheur tout neuf. Et puis elle est fière, de petites bouffées d'orgueil se mêlent à son parfum frais : les hommes la regardent, apprécient sa silhouette d'un œil parfois admiratif, des ouvriers la sifflent, et même un gamin d'à peine quinze ans lui dit dans le bus : " Madame, t'es bonne, respect ! " , rougit et rejoint une place inoccupée... Le Campanile, enfin.
Il est là, l'attend en sirotant un apéritif, a déjà passé commande pour eux-deux. La voit arriver, ne sourit pas. Douche froide.
" Merde! C'est quoi cette tenue ? Te mets jamais en jupe, avec tes guiboles toutes maigres, t'as l'air d'une pute camée ! Assieds-toi, putain ! Tout le monde te matte ! "
Déjeuner correct, puis ils font l'amour pour la première fois dans sa chambre d'hôtel. Sans préliminaires, sans tendresse excessive non plus. Il jouit, se rhabille et lui balance sa première gifle dans cette chambre d'hôtel sans âme.
" Plus jamais tu mets ce genre de fringue ! Ton vieux a dû oublier de t'enseigner un ou deux trucs, ma jolie ! "

Et déjà, j'étais amoureuse. Et folle peut-être. Je lui pardonne, c'est pour moi qu'il a fait ça après tout. Et puis avec son travail, il a une certaine image à respecter, j'lui dois au moins ça. Il me laisse tranquille : Quand il n'est pas là, je fais ce que je veux. Il est souvent pas là, ces derniers temps. C'est lourd, j'ai mal aux épaules. Ça va donner demain si j'ai des courbatures, surtout si on sort, comme avant. Mais il est claqué, il veut se reposer. 
  

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