QUATRIÈME ÉTAGE



Au prochain étage, je vais voir si l'ascenseur fonctionne de nouveau, sait-on jamais ? Il y a bien un bon Dieu, non ? Vacherie, c'est quand même lourd ! Avec ma carrure d'athlète, c'est déjà un exploit que je sois revenue du supermarché sans m'arrêter une seule fois. Côté physique, je tiens de ma mère : pas très grande, pas très épaisse non plus. Mais elle était belle Maman ! 
Même avec sa " maladie ", elle est toujours restée belle.

Maman s'appelait Victoire ; elle n'en a pourtant pas eu beaucoup, de victoires.

Les seules choses que Victoire ait vraiment décidées et assumées seule sont la naissance et le prénom de sa fille. Elle l'a voulu, ce bébé, quand bien même Roger s'en serait passé, quand bien même les médecins lui disaient que " ça " ne tiendrait pas : " Trop maigre ". Et le bout de chou arrive, finalement sans aucun problème.
" Putain, une pisseuse ! Démerde-toi pour lui trouver un nom et prends pas un truc à la con ! "
Et Marie est baptisée Marie. Papa essaie pourtant de faire changer d'avis sa femme, mais elle n'en démord pas et, pour une fois, gagne la bataille. Dès que Marie commence à marcher, Papa a son accident et Victoire s'efface derrière lui pour l'éducation de son enfant. Il prend la petite en charge, lui apprend la vie, de son point de vue. Maman lit toujours, fait le ménage et la cuisine, fume en cachette. Et elle pâlit, elle maigrit. Elle pleure parfois, sans que Roger l'ai battue. Alors Marie pleure aussi, comme par réflexe mimétique et Maman la console, oublie ses propres larmes.
Et puis un jour, Marie rentre du collège (elle est en sixième, déjà !) et Maman est absente. Il y a la police et des potes à Papa qui discutent doucement. Marie n'a jamais entendu son père et ses amis parler autrement qu'en criant, et des frissons, des sueurs froides lui viennent tout à coup. Personne ne la voit, elle est invisible. Quand tout le monde est enfin parti, Roger lui prend la main. Des frissons lui viennent à nouveau : c'est la première fois qu'il fait quelque chose comme cela.
" Les femmes, ça chope toujours le cancer de la clope ou du nibard. Ça doit être gynétique. " aimait à répéter Roger.
Mais en cet instant il lui dit juste : " Ta mère est morte. Cancer... Bon, bah, on va finir la route tous les deux puisqu'elle nous a laissés tomber ! "
Encore des frissons, plus violents cette fois, et plus rien du tout. Marie est vide, glacée. Elle ne voit plus, n'entend plus. En fait elle s'est évanouie et assommée contre la table. Elle en garde toujours une petite cicatrice à la tempe.
Plus tard, bien après l'enterrement, elle se demande pourquoi il n'y a jamais eu d'hôpital pour Maman, ni de médecins à la maison. Et pourquoi les invités aux funérailles disent des choses telles que " Quelle tragédie, une femme si jeune... ", " Dans sa propre chambre... Quelle honte ! Si la petite avait vu ça... ", " Pas un mot d'explication... La folie, peut-être... ", " ... devait pas avoir de cœur pour laisser une gamine si jeune derrière elle... ".

Pauvre petite Maman ! Elle devait vraiment souffrir pour se suicider. Je suis vraiment nulle quand même : il m'a fallu quatre ans pour percuter ! Enfin, j'ai toujours douté, mais, bon, quatre années de doute, ce n'est pas vraiment la preuve d'un esprit vif... Et voilà, je chiale encore... À chaque fois que je pense à Maman, c'est pareil... Faut pas que je pleure trop, je vais me déshydrater ! 
Hi hi hi hi !!

Le palier, enfin. Marie à genoux par terre, pleurant et riant à la fois. Quiconque la voyant ainsi la prendrait pour une vraie folle. Elle se relève et oublie d'aller vérifier l'ascenseur. Elle reprend ses charges.
  

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